Le Bruissement des matins clairs d’André Senécal (extrait)

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Extrait de Le Bruissement des matins clairs d’André Sénécal, paru en avril 2016 aux Belles Lettres dans la collection « Traductologiques » :

Le bruissement des matins clairs

Bien difficile d’être heureux en traduction à moins d’aimer profondément son métier. l’idéal porté par le jeune traducteur en début de carrière, le caractère stimulant de l’exercice de sa profession, la satisfaction escomptée du résultat, les perspectives de progression sont de puissants éléments de motivation. Son attitude proactive joue pour beaucoup dans le maintien de cette motivation et de sa satisfaction au travail. Et la protection chez un traducteur est largement tributaire de sa curiosité intellectuelle, de son exploration de nouveaux territoires dans les continents de la langue, de la culture et des domaines de travail.

C’est ce à quoi je songeais en me rendant à pied au travail par un beau jour de printemps. Levé très tôt, comme d’habitude, je constate que la journée s’annonce magnifique. Une fois les ablutions matinales et un frugal petit déjeuner expédiés, j’attrape mon porte-documents et je quitte la maison. Le Bureau de la traduction est à un peu moins de quatre kilomètres de distance, que je parcours en une quarantaine de minutes. Une bonne occasion de faire de l’exercice.

Ce matin de juin, Gatineau s’éveille lentement, quelques rares voitures sillonnant les rues à la levée du jour. J’emprunte la promenade Lac-des-Fées, située dans l’extrémité sud du Parc de la Gatineau, bande de verdure qui semble tirer la langue à Ottawa, située de l’autre côté de la rivière des Outaouais, frontière naturelle entre le Québec et l’Ontario. Depuis les arbres qui bordent la promenade, j’entends le chant d’un cardinal, sifflement clair à tonalité montante terminé par plusieurs notes de ponctuation. L’air est frais, le soleil est radieux et le taux d’humidité s’annonce tolérable.

J’aime mon travail. Simplement, mais passionnément. Il me procure de grandes satisfactions. La satisfaction du travail bien fait malgré les écueils quotidiens de la vie de bureau, les délais trop serrés ou les surcharges de mandats. La conviction, après toutes ces années d’efforts, d’être parvenu à un niveau professionnel qui me permet d’aborder avec assurance les textes les plus difficiles. La chance de profiter des compétences de mes collègues dans une fructueuse synergie qui caractérise le travail d’équipe au sein du service. la fierté de tirer mon épingle du jeu à l’entière satisfaction de clients qui formulent des besoins particulièrement exigeants. La force intérieure instillée par la reconnaissance de mon métier comme profession régie par un ordre professionnel. L’enthousiasme suscité par le lancement de grands projets de traduction avec leur lot de responsabilités multiples qui mettent à profit ma polyvalence comme fournisseur de services linguistiques. Toutes ces joies discrètes, toutes ces noblesses procurent un bonheur tranquille plutôt qu’une satisfaction intense.

Comme tous les traducteurs de France et de Navarre, j’ai parfois vécu des découragements, buté sur des obstacles que je désespérais de surmonter, dû concilier des exigences que je jugeais incompatibles. Comme mes collègues, mais aussi comme tout le monde, peu importe l’occupation et le secteur de travail. En fait, l’entourage se charge de jeter sur notre chemin ces épreuves plus ou moins pénibles qui font partie de la vie. Par contre, j’ai découvert que pour peu qu’on l’ait librement choisie, la traduction ne déçoit jamais. Tous les traducteurs qui chérissent leur profession vous le confirmeront.

Chaque fois que je me rends au travail, j’ai le temps de me perdre dans mes pensées. Je réfléchis souvent à la journée qui commence. Chemin faisant, j’en profite aussi pour goûter le bruissement des matins clairs.

Je suis un traducteur.

 

Extrait des pages 147 à 149.

 

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