Bernard Sergent, Le Dieu Fou (extrait)

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Extrait de Le Dieu Fou : essai sur les origines de Siva et de Dionysos de Bernard Sergent, paru aux Belles Lettres en mars 2016 dans la collection « Vérité des mythes » :

 

Dionysos et Siva : éternels voyageurs

Pour les Grecs, Dionysos est celui qui vient. Il est celui qu’on n’attend pas. Lorsqu’il saisit l’esprit des femmes pour en faire des bakkhantes, des ménades, lors même qu’il s’agissait (que c’était devenu ?) les rites les plus planifiés qui soient, on considérait que c’était son arrivée soudaine qui avait enclenché le comportement de folie des femmes. C’est à juste titre que M. Detienne peut écrire : « Parmi tous les dieux qui se rencontrent partout en Grèce est le moins sédentaire. Nulle part, il n’est chez lui… dieu nomade, son royaume ne connaît pas de capitale. »

On ne s’étonnait donc pas qu’un mythe le dise demander, sur un rivage d’Anatolie ou insulaire, aux possesseurs inconnus de lui d’un bateau, de lui faire traverser la mer (histoire des pirates tyrsènes) ; ou qu’il « arrive » à Thèbes (motif des Bakkhantes), ou à Argos (histoire de sa rivalité avec Persée), ou qu’il passe justement à Naxos lorsque Ariadnè venait d’être abandonnée par Thésée ; ou qu’il arrive un jour près d’un lac d’Arcadie qui mène au monde inférieur. Aux Anthesthèria athéniennes, il vient de la mer : là il n’y a rien de plus codé, de plus décidé, mais c’était une merveilleuse surprise qu’effectivement Dionysos arrive ce jour-là.

Il s’agit là des traversées sur terre, au contact des hommes. Mais il est dit aussi que Dionysos, après avoir combattu sur terre, cheminera parmi les astres.

Ce caractère est aussi celui de Siva. Lorsque Daksa le décrit, il le dit « errer par les demeures terribles des morts », et il aime la solitude. De fait, un de ses plus célèbres mythes est celui de la rencontre avec les femmes des Sages dans la Forêt de Pins : ce jour-là, Siva cheminait, seul, et c’est par hasard que, traversant une forêt, il rencontre ces dames. On racontait ci-dessus le mythe de l’Inde méridionale selon lequel il vient, sous forme d’ascète, éprouver la piété d’un brahmane. Certes, chacun des grands dieux peut en faire autant, et on raconte des aventures semblables où les protagonistes divins sont Krsna, Visnu, voire la grande Déesse. Mais ces histoires sont peu nombreuses, comparées à celles où c’est Siva le protagoniste.

Ailleurs, on parle de Siva errant, sous forme de daim, dans la forêt de Slesmātaka (ce qui est le nom du fruit de la plante Cordia latifolia).

Et si Dionysos est un éternel voyageur dans le monde céleste aussi bien que dans le monde humain, le Purāna qui est consacré à Siva au point de porter son nom dit de lui : Siva est « le routier des trois mondes ».

 

Extrait des pages 82-83

 

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