Extrait de la nouvelle traduction des Métamorphoses d’Apulée par Danielle van Mal-Maeder, incluse dans le volume Romans grecs et latins, paru aux éditions des Belles Lettres en janvier 2016 sous la direction de Romain Brethes et Jean-Philippe Guez :
Psyché se retrouve donc seule – sauf qu’avec les Furies qui l’assaillent et la harcèlent, elle n’est pas seule. Ballottée par le chagrin comme par une mer déchaînée, elle a beau avoir pris sa décision, assis sa résolution, au moment d’approcher sa main du crime, elle hésite encore, elle vacille, déchirée entre toutes les émotions que le désespoir provoque en elle : elle s’impatiente, hésite, brûle, tremble, doute, se fâche et, comble du comble, dans un même corps elle hait la bête, elle aime le mari.
Mais le soir traînait déjà derrière lui. Avec fébrilité, elle met en place les dispositifs de son abominable forfait. La nuit était là ; le mari était là. Lorsqu’il eut disputé ses joutes amoureuses, il sombra dans un profond sommeil.
Psyché, d’ordinaire si faible de corps et d’esprit, rassembla ses forces, soutenue par la cruauté du sort. Elle sortit la lampe et saisit le poignard, montrant l’audace de l’autre sexe, comme métamorphosée. Mais sitôt qu’elle eut avancé la lampe et jeté la lumière sur les mystères du lit conjugal, elle vit de toutes les bêtes l’animal le plus doux et le plus exquis qui fût, Cupidon en personne, le dieu splendide, dormant dans toute sa splendeur. À cette vue, même la lumière de la lampe se mit à crépiter joyeusement, tandis que le poignard à la pointe sacrilège étincelait de plus belle. Quant à Psyché, effrayée par cette vision inouïe, l’esprit égaré, chancelante, pâle et défaite, elle tomba à genoux, toute tremblante, et chercha à enfouir le fer – mais dans sa propre poitrine – ce qu’elle eût certainement fait si le fer, par crainte de commettre pareille abomination, n’avait glissé de ses mains téméraires et ne lui avait échappé.
Épuisée, à l’agonie, elle ne se lassait pas de contempler la beauté du divin visage, et bientôt son esprit reprit vie. Ce qu’elle vit, c’était une tête dorée avec une chevelure admirable, imprégnée d’ambroisie, et sur sa nuque blanche comme le lait, sur ses joues rosées, des boucles de cheveux qui musardaient ça et là et s’enchevêtraient gracieusement, qui ondulaient par devant et ondulaient par derrière, brillant d’un tel éclat que même la lumière de la lampe en vacillait. Sur les épaules du dieu ailé, des plumes humides de rosée étincelaient de blancheur, comme l’éclat d’une fleur, et bien que ses ailes fussent au repos, à leur extrémité, un petit duvet tendre et délicat batifolait, frémissant et frissonnant sans fin. Le reste de son corps, lisse et brillant, était tel que Vénus ne pouvait regretter de l’avoir engendré. Aux pieds du lit reposaient l’arc, le carquois et les flèches, armes bienfaisantes du puissant dieu.
Psyché ne peut rassasier son esprit et, curieuse comme elle est, elle examine, elle palpe, elle admire les armes de son mari. Elle tire une flèche du carquois, en éprouve la pointe de son pouce ; sa main tremble encore, elle appuie un peu trop fort : la piqûre est profonde et quelques gouttelettes d’un sang vermeil perlent à la surface de la peau. C’est ainsi que sans le savoir Psyché se prend elle-même à l’amour de l’Amour. Alors elle brûle de plus en plus de désir pour le dieu du Désir : elle se penche sur lui, haletante, pantelante, le dévore fiévreusement de baisers brûlants, redoutant d’écourter son sommeil. Ébranlée par tant de bonheur, elle vacille, le coeur défaillant, et voilà que la lampe, soit infâme perfidie, soit malfaisante jalousie, ou encore parce qu’elle brûle elle aussi de toucher ce corps si beau, comme pour l’embrasser, laisse couler une goutte d’huile bouillante du bout de sa mèche sur l’épaule droit du dieu…
… la suite dans les Romans grecs et latins !